Jeu. Simulation grinçante par des hacktivistes italiens.

02/17/2006

La grande cuisine de McDo

par Marie LECHNER
QUOTIDIEN : vendredi 17 février 2006

Envie de savoir ce qui se cache (vraiment) derrière un burger ? Dans la
foulée du premier jeu antipromotionnel Disaffected ! (mécontent) visant
les boutiques de bureautique Kinko, les hacktivistes milanais de Molle
Industria lancent le jeu vidéo McDonald's. En ligne, ou à télécharger
gratuitement, ce jeu éducatif sardonique démontre que s'en mettre plein
les poches avec une boîte comme McDo n'est pas si simple que ça en a
l'air. De l'élevage au management d'un fast-food en passant par les
stratégies marketing, le joueur doit maîtriser un processus complexe.
Commencer par racheter des terrains en Amérique latine pour installer des
pâturages, en graissant si nécessaire la patte du potentat local,
ensemencer des champs de soja (de préférence transgénique pour un meilleur
rendement). Rien de tel que le soja hypercalorique pour obtenir des
burgers bien gras. Eventuellement «débroussailler» un peu de forêt
primaire et virer quelques indigènes résiduels. Mais gaffe à ne pas trop
déforester, au risque de se retrouver avec les écolos sur le dos, jamais
très bon en terme d'image.

Orchestrer. Le joueur doit veiller simultanément à l'engraissement des
animaux. Si nécessaire, rajouter des farines animales, une dose d'hormones
de croissance, mais là encore gare à la vache folle qu'il faudra abattre
avant la contamination du troupeau. Coûteux et désastreux pour la
confiance dans la marque. Une fois le bestiau transformé en steak, le
joueur n'est pas au bout de ses emmerdes, il va cette fois lui falloir
gérer le personnel de son fast-food, trouver des astuces pour motiver les
bosseurs sans bourse délier, en les récompensant par un badge «employé du
mois». Et «parce que McDonald's n'est pas seulement une chaîne de
fast-food, mais aussi une marque, un style de vie, un symbole de la
supériorité de la culture occidentale», dixit le site, il faudra, pour
attirer le client, orchestrer une campagne publicitaire à la hauteur,
confiée à des créatifs affûtés. Le tout sous l'oeil attentif du conseil
d'administration qui n'attend qu'un faux pas pour vous virer.

«Sales secrets». Le jeu dévoile «tous les sales petits secrets qui ont
permis à McDo de devenir l'une des plus grosses compagnies du monde» :
déforestation, désertification, précarisation des travailleurs, OGM,
malbouffe, etc., le tout avec des graphiques pimpants, un gameplay
séduisant et sophistiqué, et une complexité poussée pour ce type de jeu
engagé.

«Nous souhaitons libérer les jeux vidéo de la dictature du
divertissement», explique Paolo, l'un des membres de ce collectif italien
d'artistes et programmeurs militants, gravitant dans le réseau des
activistes Chainworkers (à l'initiative du Mayday) et Guerriglia Marketing
(avec qui ils ont réalisé Where-next, un site de pari sur les lieux des
prochains attentats terroristes). «Le jeu est un médium qui est de plus en
plus utilisé pour la pub ou la propagande politique, estime Paolo, nous
voulons l'utiliser pour évoquer des questions sociales, communiquer nos
idées. Le médium interactif a de vraies potentialités, il permet
d'expliquer simplement des choses souvent complexes.» Molle Industria a
été fondé fin 2003 à Milan, pour imaginer des jeux différents comme Queer
Power qui stigmatise les stéréotypes du jeu vidéo, parodie de Beat them
up, où l'on baise au lieu de se battre, ou encore Tuboflex, jeu grinçant
sur la précarité et le travail jetable.